Compagnie aime l'air

La voie du maître

Christophe Charpenel
Pour le centenaire de la naissance de Marius Constant, figure majeure de la musique contemporaine française, Andy Emler, compositeur, pianiste et ancien élève du maître, revient sur l’influence déterminante de Constant dans sa vie d’artiste et sur l’esprit d’ouverture qui a marqué son parcours. Cette interview s’inscrit dans le cadre de deux temps forts au Conservatoire Les Portes d’Essonne, site Marius Constant à Juvisy-sur-Orge : une masterclass exceptionnelle animée par Andy Emler le 14 juin, suivie le 19 juin d’un concert réunissant les élèves autour de créations et d’hommages à Marius Constant. Ce lien avec Juvisy est d’ailleurs né grâce à Marius Constant lui-même, dont le directeur de l’époque, Jean-Louis Vicart, était un admirateur ; c’est sur la recommandation du compositeur qu’Andy Emler a commencé à enseigner dans ce conservatoire, qui porte aujourd’hui le nom de Centre Marius Constant. Deux rendez-vous pour célébrer la transmission, la création et l’héritage vivant d’un compositeur trop souvent méconnu du grand public.

Quelle a été ta première impression de Marius Constant, en tant qu’homme et en tant que pédagogue ?

Andy Emler : J’étais étudiant au Conservatoire de Paris (CNSM) en classes d’écriture, après avoir déjà passé deux ans en harmonie et contrepoint (j’ai d’ailleurs obtenu un premier prix de contrepoint avec une variation pour orgue dans le style de Bach). À cette époque, j’ai rencontré un super pianiste de jazz, Antoine Hervé, avec qui je suis resté inséparable pendant au moins quatre ans : nous avons formé un duo piano-vibraphone et produit notre album “Horizon” sur notre propre label. Parallèlement, Antoine et moi avons été admis dans la classe d’orchestration de Marius Constant. Marius était un homme très ouvert à tous les langages musicaux et éprouvait une certaine admiration pour les jazzmen (il nous arrivait de jouer des standards à quatre mains dans sa classe).

En quoi l’enseignement de Marius Constant a-t-il marqué ton parcours de compositeur et d’improvisateur ? Y a-t-il des principes qu’il t’a transmis et que tu appliques encore aujourd’hui ?

AE :Je dois avouer que je ne suis resté qu’un an dans sa classe. Antoine Hervé, très doué pour l’orchestration (ce qui n’est pas vraiment mon cas), ne souhaitait pas obtenir son diplôme en un an, alors il a présenté pour l’audition une orchestration “gag”, très drôle, qui a mis en colère le directeur de l’époque, Raymond Gallois-Montbrun. Celui-ci a fait un scandale, déclarant à Marius devant tout le monde : « Où croyez-vous être ? Nous sommes au Conservatoire de Paris ici ! » Ce à quoi Marius a répondu : « Nous sommes en 1981, Monsieur le Directeur, il faut s’adapter ou disparaître… je vous remets ma démission. » C’était quelqu’un de bien, j’ai adoré son attitude et, dans la foulée, j’ai moi aussi remis “ma démission” (c’est ainsi qu’on disait même pour les étudiants qui souhaitaient arrêter leurs études).
J’avais besoin de liberté, et l’enseignement, en dehors de celui de Marius, restait très scolaire (on parlait très peu du XXe siècle…).

Marius Constant a souvent intégré des éléments issus de différents langages musicaux – du dodécaphonisme à la musique populaire. Comment te transmettait-il cette ouverture stylistique ? De façon consciente ? Intuitive ?

AE : Un des plus beaux exemples de son ouverture d’esprit (ce qui, comme disait Desproges, n’est pas une fracture du crâne), ce sont ses disques mêlant jazz, improvisation et écriture contemporaine. Un jour, il a invité Martial Solal (toujours d’une humilité et d’une discrétion exemplaires) dans la classe, et il nous a demandé, à Antoine et moi, de jouer pour lui. Il a été impressionné d’entendre de jeunes musiciens s’aventurer dans l’impro-jazz à quatre mains sur le piano.
Marius avait enregistré “Stress” avec Martial Solal, Daniel Humair et bien d’autres.
Par la suite, il a enregistré des concertos pour instrument soliste, orchestre et quartet de jazz, et il m’a demandé de former le quatuor et d’enregistrer le disque avec eux.
Nous nous sommes revus plusieurs fois par la suite à l’occasion d’autres projets musicaux.

"Je vous recommande d’écouter : les 4 concertos, Stress, Nana Symphonie, 14 Stations, etc. Lors de mon concert de piano du 19 juin à Juvisy-sur-Orge, je rendrai hommage à certaines de ses œuvres, en les mêlant à des improvisations à la manière de… Ravel et du jazz moderne."

Quelle place penses-tu que Marius Constant occupe aujourd’hui dans le paysage musical français et international ? Est-il suffisamment reconnu, célébré ?

AE : Marius Constant est célèbre dans le monde entier, mais peu de gens le savent : sa musique a été choisie dans les années 60 comme générique de la série “The Twilight Zone” (La Quatrième Dimension). Tout le monde connaît le petit thème de quatre notes, mais personne ne sait que c’est une œuvre de Marius.
Il est bien sûr célèbre dans le monde de la musique contemporaine, mais, comme souvent, il n’est pas assez reconnu ni suffisamment joué. Ce centième anniversaire de sa naissance est l’occasion de célébrer sa musique.

Marius Constant a entretenu un lien fort avec la danse (Roland Petit ou Maurice Béjart). Cela t’a-t-il inspiré pour “Duo à 5 Hop” ?

AE : Je ne connais pas vraiment les œuvres chorégraphiques de Marius, et mon travail d’écriture est peu influencé par son style. C’est surtout l’homme que j’ai suivi et écouté. Il avait un réel talent pour l’orchestration, à l’instar de Maurice Ravel (Marius a d’ailleurs orchestré le “Gaspard de la nuit” de Ravel pour piano).
“Duo à 5 Hop” et “Make ‘em Move sont des travaux inspirés par une passion commune pour la danse et la musique, comme beaucoup d’autres compositeurs, ainsi que par des rencontres exceptionnelles.

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