Entre effacement et moteur de l’œuvre
« Dans la musique classique, l’interprète peut parfois s’effacer derrière l’œuvre, sauf dans le cas de ce qu’on appelle la musique de chambre ou les concertos, où il est le soliste. » Dans le Concerto pour piano improvisé d’Eugenio Toussaint, qu’il jouera le 18 janvier à Mexico, Andy se retrouve précisément dans cette double exposition : « C’est le cas dans le concerto que je vais jouer avec orchestre. Mais il y aura plus, puisque c’est un concerto pour pianiste improvisateur : je me dois donc de créer aussi ce qu’il se passe en dehors du texte. J’aurai par conséquent la posture du soliste avec orchestre et celle de l’improvisateur “jazz”. »
Faire sonner une partition certes, mais le Andy interprète assume ainsi un rôle de moteur du discours, où la part écrite et la part improvisée s’enchevêtrent.
Donner du « vivant » à la musique des autres
Lorsqu’il joue la musique d’un autre, Andy ne se considère par comme un simple technicien neutre du piano : «Je peux prendre la liberté de composer un déroulement musical dans les parties libres ou dans les chemins harmoniques, et me servir des thèmes pour y amener des variations personnelles. »
Jamais très loin, le compositeur qu’il est prend la main sur l’interprète : il organise, prolonge, détourne parfois, pour que la pièce reste vivante. Cela rejoint sa pratique quotidienne : « Il n’est jamais inintéressant de mettre son nez (et ses oreilles) dans la musique des autres. C’est d’ailleurs une activité presque quotidienne, puisqu’il faut “se nourrir” des musiques d’où qu’elles viennent. »
Improviser, une synthèse interprète / compositeur
« Improviser, c’est écrire en jouant », les choses ne sont pas si simples pour Andy : « Parfois, les improvisateurs (souvent en jazz) n’ont pas la conscience de “la conduite du discours” et enchaînent des notes “qui marchent”. » À l’inverse, lui a la double casquette interprète-compositeur qui lui donne une perspective autre : « L’effort intellectuel est tout autre quand il s’agit de créer une œuvre en improvisant. Il faut être très concentré et tout mémoriser, tout en agençant le déroulement… Pas simple, mais passionnant, j’adore !!! »
Dans ce cas, l’improvisateur devient réellement la synthèse de l’interprète et du compositeur : il écoute, s’adapte et structure aussi en temps réel une partition invisible. Le concerto d’Eugenio Toussaint, avec ses 25 minutes d’équilibre entre écriture et liberté, est un terrain idéal pour cette approche. Tout cela est pourtant un travail périlleux : « Selon la taille de l’orchestre, le soliste et le lieu, il y a forcément un travail d’équilibriste à mettre en place, d’autant qu’il n’y a, si je me souviens bien, que deux répétitions de deux heures chacune. »
« My Own Ravel » : jouer avec, plutôt que jouer Ravel
Autre versant de ce voyage d’Andy au Mexique, My Own Ravel, permet parfaitement d’illustrer ce questionnement entre interprétation et invention. Andy raconte : « Quand on m’a commandé la mise en musique de la pièce de théâtre Ravel, d’après le livre de Jean Echenoz, l’exercice de composer à la manière de… m’a tout de suite séduit. Les compositeurs du passé pratiquaient souvent cet exercice. N’étant pas, et n’ayant pas l’âme, d’un interprète, cela paraissait une évidence pour moi (même si, par la suite, on m’a obligé à les jouer !). »
Le solo My Own Ravel n’est donc pas un récital de Ravel, mais un dispositif hybride : « Le solo My Own Ravel mélange mon écriture “à la manière de” avec des moments parlés, où je raconte la fin de sa vie, et des moments d’improvisation (on sort du texte et on y revient). » Preuve encore qu’il n’y a rien à y faire : l’interprète est inséparable du conteur.
Un interprète façonné par le compositeur et le pédagogue
Au fond, si ce voyage mexicain met en lumière « l’interprète Andy Emler », c’est toujours en lien étroit avec le compositeur et le pédagogue. L’interprète accepte de s’effacer quand il le faut, mais sait aussi « devenir le moteur » de la musique, surtout lorsque le cadre – concerto, Ravel – appelle la prise de parole. En acceptant d’habiter ces deux postures à la fois, Andy démontre qu’interpréter, improviser et composer ne sont pas des rôles séparés, mais des manières différentes de rester au service d’une seule chose : la musique vivante.



