Compagnie aime l'air

pochette de l'album Köln Concert - ECM
À l’occasion du concert exceptionnel « Dix mains pour Jarrett » qui s'est déroulé le 11 janvier 2025 à la Maison de la Radio et de la Musique, cinq pianistes d’exception, dont Andy Emler, ont rendu hommage au mythique Köln Concert de Keith Jarrett, cinquante ans après cet événement devenu légendaire. A l'occasion de sa diffusion sur France Musique le 8 mai , Andy Emler partage sa vision de l’œuvre de Jarrett, son approche du piano en collectif et l’esprit de liberté qui anime cette soirée unique, où se croisent mémoire, improvisation et transmission. Une plongée passionnante au cœur de la création, à la rencontre d’un musicien

Le Köln Concert est entouré d’une aura presque légendaire, en partie à cause de ses conditions difficiles. Penses-tu que l’imprévu et l’adversité sont parfois des moteurs essentiels de la création musicale ? As-tu déjà vécu des situations similaires où la contrainte a libéré l’inspiration ?

Andy Emler : Quand on est improvisateur, on peut en effet se retrouver dans des situations imprévues (surtout les pianistes, qui changent d’instrument à chaque fois… sauf les superstars). Je ne dirais pas que l’adversité et l’imprévu sont des moteurs essentiels, mais ils peuvent effectivement participer à un moment de « lâcher de chevaux » qui peut générer des idées, une forme de jeu, ou des envies particulières et précises (cela, bien sûr, si et seulement si l’improvisateur joue le jeu de la prise de risque totale).
Par prise de risque, j’entends l’improvisation totale, sans utiliser ses plans…
J’ai en effet souvent vécu des situations où, en arrivant quelque part et ne connaissant pas l’instrument, cela pouvait générer de la création.

En tant que pianiste et compositeur, comment as-tu perçu la première écoute du Köln Concert ? Y a-t-il un moment précis de ce disque qui t’a particulièrement marqué ou influencé dans ta propre pratique ?

AE : J’avais, si je me souviens bien, 18 ou 19 ans quand j’ai découvert ce Köln Concert. Je me suis immédiatement mis à relever d’oreille les différents morceaux et, par la suite, à les jouer et à improviser à partir des thèmes dans le style.
J’étais sous l’influence du pianiste Chick Corea et Jarrett m’a emmené vers son style dans cet album précis, à savoir : une musique « consonante », néoclassico-tonalo-romantico-folklo-virtuose.

Selon toi, qu’est-ce qui distingue le Köln Concert des autres enregistrements de Keith Jarrett, et pourquoi ce disque continue-t-il de toucher autant de générations de musiciens et d’auditeurs ?

AE : À mon humble avis, ce choix de style (romantico, etc.) dans tout l’album reste accessible à toutes les oreilles, quelles que soient les générations. Il y a dans l’œuvre de Keith Jarrett d’autres solos qui alternent musiques consonantes, free music, voire folk !
Les voyages sont nombreux. Ce soir-là à Cologne, il devait être dans un mood émotionnellement particulier. Ensuite, les succès ne se préméditent pas… ça se saurait !

Lors de la préparation de « Dix mains pour Jarrett », comment avez-vous concilié vos univers pianistiques très différents pour créer une œuvre collective cohérente ?

AE : C’est Arnaud Merlin de France Musique qui a choisi les pianistes. Nous devions être cinq, mais une pianiste, malade au dernier moment, a annulé. Nous ne nous sommes pas concertés sur le contenu de nos prestations. Chacun a fait ses choix quant au rapport à Keith Jarrett et à cet album. Personnellement, j’ai choisi un thème folklorique de Jarrett dans l’album « Invocations / The Moth and the Flame », mais je n’ai rien préparé pour le jouer, ni décidé où il arriverait, ni comment ça se terminerait. Il faut préciser que les quatre pianistes étaient assis sur scène sur un praticable derrière le piano, chacun jouant à son tour devant les trois autres. On m’a demandé de passer en dernier. La pressionnnnnnnn !

L’idée du « cadavre exquis » implique une part de jeu et de surprise. Y a-t-il eu des moments où l’un des pianistes t’a emmené là où tu ne t’y attendais pas ? Peux-tu partager une anecdote de cette construction à plusieurs mains ?

AE : Il y a eu en effet un cadavre exquis où le son ne s’interrompt pas et les quatre pianistes se succèdent, mais c’était en rappel et ce fut plutôt festif… chacun prenant le relais musical du moment géré par le précédent pianiste et, bien sûr, cela suscite quelques surprises… J’ai fini dans les cordes du piano en citant : « J’ai du bon tabac dans ma tabatière » (vieux classique).
Le concert, lui, a fait place à quatre solos de 15 à 20 minutes chacun, sans qu’il ne soit prévu de lien entre chaque.

Que retiens-tu de cette expérience humaine et artistique avec les autres pianistes ? Cette rencontre a-t-elle modifié ta vision du Köln Concert ou de l’œuvre de Jarrett ?

AE : C’est toujours passionnant d’écouter d’autres pianistes-compositeurs. Le fait de passer en dernier m’a mis un trac de dingo, mais dès les premières notes, on se laisse embarquer par « la prise de risque ». J’ai personnellement essayé de jouer « à la manière de… ».
Nous avons passé un excellent moment ensemble, sans égos mal placés ni rivalités aucunes… c’était le pied ! Et j’étais très honoré de faire partie de ce beau et grand moment original.

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