Journey Around the Truth a été commandée par Radio France pour le grand orgue de l’Auditorium. Comment cette commande est-elle née, et qu’est-ce qui t’a donné envie de te lancer dans cette aventure ?
Andy Emler : À Radio France, il y a une personne formidable, Dagmara Girod, qui supervisait les projets autour du nouvel orgue (ou presque neuf) et qui venait de produire un album avec le titulaire de l’instrument (chaque orgue a généralement un titulaire) : Thomas Ospital. Elle souhaitait monter un projet plus… « jazz » et m’a donc contacté.
Il a été très difficile pour moi de « faire connaissance » avec cet instrument incroyable, qui utilise de nouvelles technologies électroniques. J’ai pu y accéder trois fois, à 20h30, pour deux heures à chaque fois, afin de me familiariser avec l’orgue – ce qui, finalement, était très peu avant d’écrire. Dave Liebman était en Europe pour des dates à venir et nous avons combiné le concert et l’enregistrement sur trois jours.
Comment as-tu abordé l’écriture pour un instrument aussi particulier ?
AE : Il a fallu chercher quelle musique jouer avec cet instrument. Il faut savoir que pour « groover » avec un grand orgue à tuyaux, il faut énormément anticiper la musique, car l’émission du son dans les tuyaux (surtout dans les registres graves) prend un petit laps de temps – on est loin de la précision du piano !
D’ailleurs, j’ai dû (non sans mal) faire installer une paire de micros devant les gros tuyaux pour obtenir plus de précision dans un moniteur sur scène. Le premier jour, Dave m’a dit : « I don’t hear the first beat » (je n’entends pas ton premier temps), ce à quoi j’ai répondu : « Don’t worry, neither do I » (t’inquiète pas, moi non plus).
J’avais déjà, par le passé, écrit pour orgue (j’ai obtenu un prix de contrepoint sur des variations sur un choral dans le style de J.S. Bach), et j’avais aussi quelques concerts d’orgue à mon actif…
Ce fut très inspirant d’écrire pour mon ami Dave, dont je connais les goûts et l’ouverture à toutes les nouvelles aventures.
Ta collaboration avec Dave Liebman s'est étalée sur plus de trente ans. Qu’est-ce qui a rendu ce dialogue musical si fort ?
AE : Dave Liebman est le plus européen des jazzmen américains. Nous nous sommes croisés à plusieurs reprises au fil de nos carrières. Entre nous, il s’est développé un état de confiance total, car Dave est vraiment à l’écoute des autres.
Chaque fois que j’ai sorti un disque, je lui ai envoyé, il m’a toujours fait un retour, et il aime vraiment mon travail. Je me souviens de lui jouant en trio en deuxième partie du MegaOctet lors d’un grand festival, et il est resté assis à côté de l’orchestre pendant toute la première partie.
Quand je lui ai proposé cette nouvelle aventure, il a accepté avec beaucoup d’enthousiasme.
Chaque orgue est unique, avec sa propre personnalité acoustique, sa disposition, sa mécanique. Comment abordes-tu le fait de jouer sur des instruments différents ?
AE : C’est toujours un vrai défi de faire connaissance avec un nouvel instrument. Il faut savoir que les « registres » (les manettes qui déterminent le son choisi) sont souvent agencés très différemment selon les orgues.
D’ailleurs, souvent, les « vrais » organistes se font assister par quelqu’un dont le rôle est de gérer manuellement les changements de sons (de registres). Beaucoup d’instruments disposent aujourd’hui de mémoires permettant d’enregistrer des combinaisons et de les déclencher avec les pieds.
Je demande en général de venir la veille ou d’avoir au moins deux à trois heures pour préparer ma vision personnelle : quelle musique jouer avec tel ou tel instrument. C’est un vrai plaisir à chaque fois de découvrir les « saveurs » de l’orgue.
Tu explores l’orgue aussi dans d’autres contextes, comme avec Laurent Dehors. Qu’est-ce qui t’attire dans cet instrument, et as-tu envie de continuer à l’intégrer dans de futurs projets ?
AE : J’adore improviser sur les grandes orgues. On peut y jouer tout un tas de musiques différentes et, comme je le disais plus haut, c’est un vrai défi de faire ressortir nos musiques avec un tel instrument.
Nous avons une belle histoire avec Laurent Dehors, mais aussi avec d’autres. Sur le premier projet, j’avais écrit un morceau pour orgue et soliste pour chaque membre du MegaOctet, que nous avons enregistré sur l’orgue Cavaillé-Coll de l’abbaye de Royaumont.
J’aimerais beaucoup donner plus de concerts d’orgue, car j’adore jouer de cet instrument, mais les festivals de jazz, par exemple, n’imaginent pas que cela soit possible – alors que ça fonctionne merveilleusement bien ! Avis aux programmateurs…